A l'occasion de la mise en application de la nouvelle traduction du missel romain, la paroisse a organisé plusieurs soirées afin d'approfondir le sens de l'eucharistie. Mercredi 8 décembre, c'est Père Selvan, vicaire à Saint Jean de Montmartre qui a mené un temps de réflexion sur notre "credo" en particulier "notre credo de Nicée-Constantinople".
La nouvelle expression « consubstantiel au père » remplace l’ancienne expression « de même nature que le père ». La signification a l'air similaire, alors, pourquoi l’Église insère l’expression philosophique « consubstantiel » dans son credo ?
Le contexte historique
Le 4e siècle est l’un des plus graves siècles pour l’Église concernant ses doctrines. Plusieurs hérésies étaient nées en cette époque concernant l’identité christique de Jésus ou concernant le dogme de la Trinité.
Personne ne doutait de l’acte salvifique du Christ ; cependant il y avait beaucoup de questions sur la nature du Christ ; par exemple, Jésus est-il Dieu, ou homme ? Sa nature divine ou humaine, est-elle éternelle ou bien temporaire ?
Comme nous le savons bien, le christianisme commença par des persécutions. La persécution dura jusqu’à la conversion de l’empereur Constantin en 312. En 313, il passa l’édit de Milan qui officiellement proclamait la totale liberté à la religion chrétienne ; ainsi, la persécution du christianisme se termina définitivement. Une fois la persécution terminée, le christianisme rencontra d’autres problèmes, en particulier le problème de la foi. Nous ne discutons pas tous les problèmes de ce temps mais un problème évoqué par Arius, un prêtre d’Alexandrie, car cette hérésie va nous aider à comprendre le « consubstantiel du credo de Nicée-Constantinople ».
L’Arianisme : L’hérésie la plus importante en cette époque était donc l’arianisme qui mit en enjeu la divinité de Jésus. Arius dit : « Jésus était un être divin, le plus proche de Dieu, que le Père s’est associé pour créer toutes choses, mais il n’était pas Dieu comme Dieu. Il était la plus haute et la première des créatures. » Pour appuyer ses points, Arius se référait à quelques versets de l’Écriture, comme dans l’évangile de saint Jean « Mon Père est plus grand que moi (Jean 14,28) »[1].
Évidemment, pour les chrétiens qui croyaient en Jésus comme Dieu, Arius posa un grand problème. Certains disaient « Le cœur de la foi était touché ! ». Et saint Athanase pouvait dire : « Arius me vole mon Sauveur ! » Car si Jésus n’est pas vraiment Dieu, mais un intermédiaire entre Dieu et les hommes, alors en lui, ce n’est pas Dieu lui-même qui est venu à notre rencontre. Cela secoua le mystère de l’Incarnation et le mystère de la Trinité qui forment le cœur du christianisme.
Ainsi, l’Église rencontra une persécution froide en son sein et cela l’obligea de purifier sa foi. C’était important pour l’Église de formuler un nouveau credo qui allait clairement proclamer sa foi en son Seigneur Jésus Christ, sa foi en un seul Dieu et aussi sa foi en Dieu trinitaire. Alors, l’Église voulait profiter de cette occasion pour avoir une seule confession de foi pour son corps entier. Donc nous avons eu le premier concile œcuménique à Nicée le 325 pour promulguer un credo universel.
Le concile de Nicée – le premier concile œcuménique
Le concile de Nicée se réunit donc dans la ville de Nicée en 325. Les Pères du Concile élaborèrent un symbole qui en même temps énonça la foi « droite » et donna une règle pour interpréter les Écritures sur ce point. La divinité du Christ y était confessée de plusieurs manières.
Le concile formula sa confession de sa foi en résumant les piliers de l’Église ; il soulignait deux expressions dans son credo : l’une est « engendré et non pas créé » et l’autre est « consubstantiel » pour évoquer la divinité du Christ.
Engendré et non pas créé : Cette affirmation est absolument inspirée du Prologue de l’évangile de saint Jean[2] et aussi des phrases concernant l’ego de Jésus du même évangile : « Il est Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, Fils unique engendré du Père ». Mais comment comprendre cette génération du Fils ? Les Ariens la concevaient comme la création de la créature la plus sublime et, en ce sens, divine. Le credo n’explique rien, mais il donne une règle : cet engendrement du Fils n’est pas une création : « engendré, non pas créé ». Et qu’il faut prendre au sérieux ce qu’affirme le Prologue de Jean « C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » : le Fils est absolument Dieu créateur avec le Père.
Consubstantiel - un terme philosophique : Le credo de Nicée tira donc de l’Écriture les règles d’interprétation de l’Écriture concernant la divinité du Christ. Cependant, pour préciser l’identité et l’unicité d’être du Père et du Fils, il alla faire appel à un terme non biblique, mais philosophique. Le fils est « consubstantiel au Père », que la nouvelle traduction française prend à la place ancienne i.e. « de même nature que le Père ».
La philosophie grecque aide l’Église catholique à comprendre la nature divine du Christ. Platon conçut deux mondes opposés – le monde du ciel et le monde de la terre. Ainsi il introduit deux principes fondamentaux dans tout l’être – l’idée et le corps ou la forme et la matière ou l’âme et la chair -. Le premier principe est lumineux, céleste, stable et éternel et le deuxième est contingent, terrestre, mutable et mortel. Ensuite Aristote qui voulait suivre la même division que celle de Platon, introduit les termes de la substance et de l’accidence. La substance est le comportement nécessaire d’un être en revanche l’accidence est le comportement contingent d’un être. Par exemple, Aristote disait : tous les êtres humains partagent la même substance ainsi, ils sont tous égaux ; or, ils ne partagent pas la même accidence, ainsi ils sont différents. Cette division aussi explique facilement la continuité de la vie après la mort. Éventuellement le concile de Nicée profite de cette division philosophique pour proclamer la nature divine de Jésus. Par le terme « consubstantiel », il constate que Jésus partage la même substance que celle du Père[3].
Ce credo fut promulgué lors du concile de Nicée en 325 ; or, il devait être complété plus tard, un demi-siècle après, lors du concile de Constantinople de 381 d’où nous avons l'expression « symbole de Nicée-Constantinople ».
Le 1er concile de Constantinople en 381 – le second concile œcuménique
Situation politique et religieuse : Bien que la doctrine d'Arius ait été rejetée lors du concile de Nicée, les tenants de ce courant réussissaient à maintenir leur influence ; et les décisions du concile étaient contestées pendant plus de 50 ans, surtout en Orient, jusqu'à l'accession au pouvoir de l'empereur Théodose, un espagnol qui devint empereur de l'Orient en 379. En 380 il déclara son soutien pour la théologie de Nicée, en accord avec l'empereur Gratien de l'Occident. De plus, à cette époque, d'autres hérésies aussi menacèrent l'unité chrétienne comme le macédonianisme[4] qui refusa la divinité du Saint-Esprit. Cette situation politico-religieuse conduit Théodose à convoquer dans sa capitale un concile de tous les évêques de son empire (de l'Orient), sans participation du pape et des autres évêques occidentaux.
La tenue du concile
1. Au premier concile de Constantinople (de mai à juillet 381), sont acceptés seuls les évêques (orientaux) qui reconnaissaient le symbole de Nicée – évidemment, les ariens sont exclus -.
2. Avec certaines modifications, le concile rétablit le symbole nicéen de foi désigné sous le nom de symbole de Nicée-Constantinople pour compléter le credo de Nicée.
3. En particulier, ce concile développa les passages relatifs à l'Incarnation et à l'Esprit–Saint dont la divinité était proclamée.
4. La divinité du Saint Esprit : le Concile formula donc l’article historique du Saint Esprit. L’Esprit Saint « Comme Dieu, il est Seigneur, il donne la vie ; il procède du Père et, avec le Père et le Fils, il reçoit la même adoration et glorification. »
(Le point suivant est pour la discussion en groupe – Selon vous, chaque expression différente que nous notons entre les deux conciles est-elle importante pour notre foi ou pas ? Pourquoi ?)
Une Comparaison - Nicée et Constantinople
Le tableau suivant, présente les deux textes adoptés par les deux conciles. Les parties du texte de 325 qui sont omises ou déplacées dans la version de 381 sont mises entre parenthèses, les phrases ajoutées en 381 sont écrites en italiques :
Premier concile de Nicée (325), 1er œcuménique
Premier concile de Constantinople (381), 2d œcuménique
Nous croyons en un seul Dieu Père tout-puissant, créateur de toutes les choses visibles et invisibles.
Nous croyons en un seul Dieu Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles.
Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, né du Père, [c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu,] lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré, et non fait, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait [ce qui est au ciel et sur la terre] ; qui pour nous, hommes, et pour notre salut est descendu, s’est incarné et s’est fait homme ; a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, et viendra de nouveau juger les vivants et les morts.
Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré et non fait, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait ; qui pour nous hommes et pour notre salut est descendu des cieux, s’est incarné par le Saint-Esprit, de la Vierge Marie et s’est fait homme ; qui en outre a été crucifié pour nous sous Ponce-Pilate, a souffert, a été enseveli et est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ; qui est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père, d’où il viendra avec gloire juger les vivants et les morts ; dont le règne n’aura pas de fin.
Et au Saint-Esprit.
Nous croyons au Saint-Esprit, Seigneur et vivifiant, qui procède du Père, doit être adoré et glorifié avec le Père et le Fils, qui a parlé par les saints prophètes.
[Ceux qui disent : il y a un temps où il n’était pas : avant de naître, il n’était pas ; il a été fait comme les êtres tirés du néant ; il est d’une substance, d’une essence différente, il a été créé ; le Fils de Dieu est muable et sujet au changement, l’Église catholique et apostolique les anathématise]
Et l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Ainsi-soit-il.
Ce symbole qui conserve les principaux éléments de celui de Nicée (dont l'homoousios), en diffère sur plusieurs points. Il déclare que « son règne (celui du Fils) n'aura pas de fin » ; contre les pneumatomaques macédoniens, il développe l'article sur l'Esprit… L'anathème final de Nicée disparaît, et avec lui la fâcheuse identification de l'ousie et de l'hypostase.
Conclusion
En affirmant que le Fils est CONSUBSTANTIEL au Père, on dit que le Fils est une seule et même substance avec le Père : en effet, il n’y a pas deux ou trois dieux, mais un seul Dieu, une seule substance divine en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Merci.
Père Selvan Charles
[1] De plus, dans l’évangile de Marc : l’homme riche dit à Jésus : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » – Jésus lui répond « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul » (Mc 10, 17ff). [2] St Jean 1, 1ff : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. [...] Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. » [3] Plus tard, grâce à cette philosophie, saint Thomas d’Aquin, un ardent disciple d’Aristote, explique angéliquement la transformation eucharistique du pain et du vin en corps et sang du Christ par le terme « Transsubstantiation ». Dans l’eucharistie, la substance du pain et du vin est donc transformée et non pas leur accidence. [4] Macédonios (ou Macédonius) Ier fut évêque de Constantinople, occupant effectivement le siège de 341 ou 342 à 346, puis de 351 à janvier 360. Le macédonianisme — dont les adeptes sont appelés pneumatomaques (« ceux qui combattent l'Esprit ») — est une hérésie dans la seconde moitié du IVe siècle et au début du Ve siècle, qui refuse l'idée de la divinité du Saint-Esprit et l’idée du consubstantiel du Christ. Selon cette hérésie, l’Esprit Saint est considéré comme une créature du Père et tenu pour inférieur à celui-ci, au service de son plan pour la création, contrairement au Fils, Jésus-Christ, considéré comme « semblable selon la substance » (homoiousios), mais néanmoins pas de la « même substance » (homoousios) que celle de Dieu le Père. Évidemment, cette position est proche du subordinatianisme, ainsi que de l'arianisme qui refuse la consubstantialité.
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